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L’écho du silence

Jean Pierre Robert
L’écho du silence


10_chiaoux_karamoussa.jpgBien des livres de cette rentrée littéraire 2009 reviennent sur la Guerre d’Algérie. On pense notamment à Annelise Roux, La Solitude de la fleur blanche (Sabine Wespieser), Laurent Mauvignier, Les Hommes (Minuit), Francine de Martinoir, L’Aimé de juillet (J. Chambon), Marc Bressant, La Citerne (de Fallois) et même à l’excellent Jean-Michel Guenassia, Le Club des incorrigibles optimistes (Albin-Michel). Depuis une dizaine d’années, peut-être un peu plus, la littérature française revient, sous la forme de témoignages, romancés ou non, de fictions, sur la fin de la présence française de l’autre côté de la Méditerranée. Le mur du silence lui aussi tombe. Retour sur un livre paru en 2002.

« Non toute cette souffrance n’avait pas pu sortir et il ne savait pas pourquoi. Peut-être parce qu’il pensait déjà qu’il faudrait repartir et qu’il ne fallait pas faire de peine en disant sa peine à lui, peut-être aussi parce qu’il sentait que de toute façon le père n’était pas prêt à l’entendre ».
« Pas prêt à l’entendre » ! le père... pas plus la fiancée d’ailleurs : « (...) à elle non plus, il n’avait pas pu parler. Elle lui semblait trop loin de lui, inaccessible dans ses rêves d’enfant ». Entendre quoi d’ailleurs ? Les récits d’une guerre sans nom dont la majorité des Français de métropole n’avait fichtre rien à faire ?! Les crimes et abominations commis par l’armée au nom du maintien de l’ordre ou de la pacification ? Mieux valait rester loin de tout cela ! S’interroger sur la présence française en Algérie et triturer « nos » mentalités travaillées par cent trente-deux ans de colonialisme ? Allons allons, il y avait mieux à faire que perdre son temps pour ces « indigènes » : ils veulent leur indépendance, qu’on l’a leur donne et basta !
Alors, « le Dégonfleur », en permission dans sa famille, s’était tu. Lui, comme des milliers d’autres de son âge. Avoir vingt ans dans les Aurès ! Une nouvelle fois, l’écho de ce long et lointain silence s’échappe de blessures jamais refermées. Une mémoire toujours tourmentée laisse remonter à la surface des souvenirs jamais disparus.
Dans ce premier roman, Jean Pierre Robert revient donc sur cette douloureuse page de l’histoire nationale. Nous sommes en 1961. Au cœur du massif des Aurès. Tournant le dos aux simplifications et au manichéisme, la structure romanesque met en vis-à-vis tout au long du récit deux personnages. L’un est Français, « le Dégonfleur », l’autre est Algérien, « l’homme de Nara » - du nom de son village rasé par l’armée française - celui qu’on appelle aussi « l’Absent ». Il ne dit plus rien et ne voit plus rien parce que « les Français lui avaient brûlé les yeux, [et] les djounouds lui avaient arraché la langue ». « Le Dégonfleur » et « l’Absent » seront entraînés dans cette guerre, malgré eux. Ils en seront aussi les victimes. Pas celles tombées au champ d’honneur. Non. Seulement celles, plus nombreuses, qui, en France mais aussi en Algérie, tairont leurs souffrances. Souvent, dans ce dernier pays, les souffrances se doublent de l’injustice. Car les exactions, les tortures, la justice expéditive ne sont pas le seul fait de l’armée française - ici des bérets verts de la légion ou des harkis représentés entre autres par « l’Enfant ». Elles sont aussi de l’autre côté et une juste cause ne peut absoudre les mauvaises actions.
Jean Pierre Robert décrit la vie à la caserne, l’ambiance fait d’ennui, d’attente, de petites et de grandes compromissions, de solitude, de nuits « sans rêve », de peur et de mort. Avec « le Dégonfleur » il y a le caporal, cet ancien étudiant gauchiste de la Sorbonne qui cherche « à sauvegarder un peu de sa dignité perdue » ; il y a aussi le caporal-chef qui n’est pas loin de la quille. Ensemble, ils seront témoins de tortures infligées à des prisonniers. « On savait bien que près du PC, dans l’officine du sergent harki, les interrogatoires n’étaient pas tendres. (...) Comme on n’y pouvait rien, on n’en parlait pas et d’ailleurs on préférait ne pas trop savoir (...) ».
À Alger, tandis que les généraux font leur putsch, Jean Pierre Robert tire une salve contre ceux qu’il appelle « les brailleurs » ou « les excités d’Alger » : « (...) dans la belle ville blanche, au bord de la Méditerranée si bleue, les vrais Français gueulaient leur enthousiasme guerrier, et ils avaient bien raison, ces héroïques civils qui ne risquaient rien ». À la caserne, les officiers se déballonnent, les postes radio grésillent, la troupe discute, les subalternes prennent les choses en main, et la légalité républicaine triomphe, « et au commando, on se disait que çà valait mieux comme ça ».
La guerre se poursuivant encore un temps, l’auteur montre les horreurs, dit les tortures, ne cache rien semble-t-il des exactions. Il faut en passer par là pour faire comprendre au lecteur « le mal » et « la honte » ressentis. « C’est pour des choses comme cela que les soldats, dans les guerres, ils n’écrivent rien d’intéressant à leur famille et qu’après, ils ne parlent pas ».
Pour ceux qui ont souffert, la paix est « une nouvelle souffrance, un nouveau coup qui coupe le souffle et fait perdre la tête. Parce que tout ce qui a été subi et qui a fait si mal devient tout à coup inutile et ridicule. (...). Il y a de quoi devenir fou. Beaucoup se protègent en faisant semblant, semblant d’oublier, semblant d’être heureux et ils essaient de vivre. Mais pas tous. Il y a ceux qui ne peuvent pas et dont la tête éclate ».

Gallimard, 2002, 223 pages, 15 €


Illustration :
ALGER-1839
Chiaoux et karamoussa , deux officiers de police volontaires, repoussent la foule algéroise (les enfants tout particulièrement)  au passage des troupes françaises de retour d'expédition (collection annales algériennes)

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