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L’Enfant du peuple ancien

Anouar Benmalek
L’Enfant du peuple ancien


AnouarBenmalek_Sicile.jpgEn 1994, Mehdi Lallaoui publiait un livre et réalisait un documentaire sur les Kabyles du Pacifiques, ces hommes et ces femmes de l’antipode, lointains descendants des révoltés algériens partisans d’El Mokrani et déportés en Nouvelle-Calédonie au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. Dans les cales qui emportaient ces malheureux, d’autres déportés partageaient leur triste sort : les survivants de la Commune. Cette communauté de destin nouera des liens, parfois solides, entre les enfants de la terre algérienne et ceux du pavé parisien. Ainsi, Aziz ben Cheikh el Haddad, le principal chef de l’insurrection après Mokrani s’est éteint chez Eugène Mourot, un compagnon de déportation qui habitait face au Père-Lachaise à Paris. La solidarité des anciens de la Commune payera le rapatriement du défunt vers son Algérie natale.
À partir de cette trame historique, Anouar Benmaleck raconte une autre belle histoire : la rencontre entre Kader et Lislei, tous deux déportés en Nouvelle-Calédonie. Elle n’est pas une “ communeuse ” mais la victime de la répression aveugle des Versaillais. Lui, en revanche, a bien participé à la révolte d’El Mokrani. Son père, avant lui, combattit dans les rangs de l’armée de l’Emir Abdelkader et sera contraint à un autre exil. Avec son géniteur, Kader séjournera douze ans à Damas. Le temps d’apprendre le français chez un couple de pâtissiers - cette langue évoquera toujours chez lui “ la gourmandise ”, “ la grâce et le plaisir ” -  et d’être témoin de l’engagement protecteur de l’émir en faveur des chrétiens persécutés. Sur cette action, il a fallu que son père le morigène :  “ Crois-tu, petit morveux, que l’Emir permettrait qu’on égorge des femmes et des enfants devant ses yeux, fussent-ils chrétiens ? Il sait mieux que nous ce qui est bon pour notre religion. Ce n’est pas parce qu’on nous a tout volé que nous allons nous comporter comme des chacals et nous réjouir des malheurs de plus désespérés que nous... ”. De son séjour damascène, il rapportera aussi un livre qui ne le quittera jamais et pour lequel il vérifiera toujours la propreté de ses mains avant de l’ouvrir : Le Livre des Chants écrit au Xe siècle par Abul Faraj Isfahani.
Ensemble, Lislei et Kader s’enfuient vers l’Australie. Sur le bateau qui les emporte clandestinement, ils découvrent un enfant captif, Tridarir. Malgré son jeune âge, il a déjà souffert bien plus que ces deux fuyards et bientôt protecteurs, bien plus que l’humanité tout entière : il est le dernier né, le seul survivant, l’unique rescapé du génocide des Aborigènes de Tasmanie. Un génocide monstrueux comme le rapporte l’auteur mais... parfait parce que “ sans mémoire pour les victimes, sans opprobre pour les assassins ” ! Loin du show médiatique des J.O. de l’année 2000 et de la célébration mondiale de l’efficacité des organisateurs australiens, Anouar Benmaleck a dédié son roman à une certaine Truganini... la dernière aborigène de Tasmanie morte en 1876.
Le périple australien des deux adultes en fuite et de l’enfant réservera plus de peines que de joies. Mais leur rencontre sera le prix à payer pour qu’ensemble, ils puissent jouir, même brièvement, du bonheur
“ Bois dans le verre du destin quand il te sert ce qui ressemble au bonheur. Mais pour ce verre où tu trouveras peut-être que funeste calamité, seras-tu prêt à payer le prix exigé ? ” dit Le Livre des Chants. Avec tendresse et humanisme, Anouar Benmaleck imagine l’improbable, le miraculeux. Rappelant les mots du vietnamien Duyên Anh selon qui “ la littérature doit se montrer humaniste. Sinon à force de dénigrer l’homme, on finit par nous en dégoûter ”, A. Benmaleck donne à entendre ce qu’il peut y avoir de meilleur chez les hommes : des paroles d’humanité, à peine audibles, qui s’élèvent tel un contre-chant au tumulte et à la barbarie.
Comme Nassredine, Anna et le petit Jallal Des Amants désunis, son précédent roman, Lislei, Kader et Trid déchirent d’un rayon lumineux le noir de l’Histoire. Cette source de lumière est faible. Le prix à en payer est bien lourd : “ Tu vois Lislei... Trid rit ! Pour la première fois... Toi, moi, on ne vaut pas plus que des épluchures... C’est encore pire pour Trid... Peut-être... ne pouvons-nous ... être complets qu’à trois ? Mais ça, c’est beaucoup de malheur et, si on a de la chance, juste un peu de bonheur ! Le supporterons-nous toujours ? ”. Kader sait bien, lui qui a connu tant de souffrances derrière, que “ le verre du destin ” faut la peine d’être bu.

Edition Pauvert, 2000, 333 pages

Commentaires

  • ce que je cherchais, merci

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