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Etat de siège

Mahmoud Darwich

Etat de siège


darwish.jpgEtat de siège a été écrit à Ramallah en janvier 2002. La ville vit alors sous la menace de l'armée israélienne. "Les soldats mesurent la distance entre l'être / Et le néant / Avec le viseur d'un char… Nous mesurons la distance entre nos corps / Et l'obus… avec notre sixième sens".

Mahmoud Darwich se présente comme un poète troyen, en référence à un autre siège dont l'histoire n'est connue qu'à travers le récit des vainqueurs ("Ce siège durera jusqu'au jour où les maîtres de l'Olympe / Réviseront l'Iliade éternelle"). En une centaine de fragments poétiques, le poète témoigne du quotidien des assiégés. Mais "aucun échos homériques ici". Nuls dieux ou demi-dieux, pas même de héros, mais simplement des hommes et des femmes souffrant et espérant vivre comme leurs semblables, ni plus ni moins. Aucun hermétisme non plus dans ces couplets. L'écriture est celle de l'immédiat, simple et directe. Les vers égrènent les images du quotidien : les nervures des peupliers, le ciel tantôt de plomb, tantôt de couleur orangée, un arc-en-ciel, le bleu de l'horizon, la menace des avions de chasse, le vol des colombes blanches, les cyprès derrière des soldats, une clôture de fer, des soldats (toujours) qui urinent, les nuits "scintillantes d'obus" et le "noir des caves", un cheval, des tasses de café, des oiseaux… Comme en résonance à cette poésie d'images et d'instantanés, des photos en noir et blanc d'Olivier Thébaud sont proposées en fin d'ouvrage.

Cette poésie de l'instant assiégé, où l'espace est "Pétrifié dans son éternité " et où le temps est toujours "Absent au rendez-vous" demande à être entendue, partagée. Elle est en quête d'improbables interlocuteurs derrière l'isolement du siège. Plusieurs fois le poète livre des adresses : "à la poésie et à la prose", "à des gardiens de prisons", "au lecteur", "aux assassins", "au poète"…

Comment résister quand la menace est au seuil même des maisons, que les tanks occupent les rues et que le ciel n'a plus d'autre réalité que celle des avions de chasse ? Les armes du poète ne sont pas celle du "martyr". Cette figure du sacrifice "assiège" la conscience du dispensateur de mots qui lui consacre une dizaine de pensées. Mais dans ces circonstances où l'agresseur dénie le droit même à être, le poète résiste en refusant de céder au langage du siège : langage de la haine et de la guerre. Sous l'agitation et la confusion de la surface, l'âme profonde veut demeurer pure de toute souillure, libre de toute pensée hostile.

Etat de siège est un poème écrit avec le souci de privilégier le calme et parfois même la sérénité sur la colère. Darwich y enseigne l'attente, la patience, l'absence, il y quête même l'absolu : "Ce siège, mon siège métaphorique, durera / Jusqu'au jour où j'apprendrai par moi-même l'ascèse de la contemplation : / Avant mon moi - un iris a pleuré, / Après mon moi : un iris a pleuré, / Et le lieu scrute l'absurde des temps."

Pour rester libre : "assiège ton siège" professe le poète. Alors la paix pourra être plus forte que la guerre : "La paix, chant funèbre pour le cœur du jeune homme transpercé par un grain de beauté, / Non par les balles ou les éclats d'obus."  Il veille à maintenir vivante la flamme de l'espoir sans quoi les feux du désespoir seraient destructeurs, pour tous : "Résister c'est s'assurer de / La bonne santé de ton cœur, de tes testicules / Et de ton mal enraciné : / Le mal d'espoir".  Au détour d'une invitation à partager le café turc lancé à un soldat israélien, il convoque l'humanité. Souvent aussi l'ironie raille la sauvagerie et l'injustice des temps : "Il trouve le temps pour l'ironie : / Mon téléphone ne sonne pas, / La sonnerie de la porte non plus, /Comment as-tu su / Que je n'étais pas là ?" 

La poésie serait-elle le seul rempart, toujours debout, face à ces logiques de guerre et de destruction ? Le lecteur peut le croire : "[À la poésie et à la prose]  Envolez-vous ensemble / Telles les deux ailes d'une hirondelle portant le printemps béni". Le seul vrai rempart pour préserver les chances de la paix. Une paix pour toutes les parties : "Lui ou Moi" / Ainsi débute la guerre. Mais / Elle s'achève par une rencontre embarrassante, / "Lui et Moi". Ainsi cette condition suspensive du siège (si est je) cette condition qui interdit à "je" d'être, condamne l'autre, le "lui" belliqueux, à l'errance.


Poème traduits de l'arabe (Palestine) par Elias Sanbar, photographies d'Olivier Thébaud, éd. Actes Sud / Sindbad, 2004, 145 pages, 23,90 euros.

 

L'exil du poète se poursuit, même après la mort :  lire le billet "tombeau d'un poète" de Yves Gonzalez-Quijano sur son blog : http://cpa.hypotheses.org/ 

 

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