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Littérature newzélandaise

  • Les Amants Papillons

    Alison Wong

    Les Amants Papillons

     

    alison_wong.jpgLes Chinois, au XIXe et au début du XXe siècle, ne se contentèrent pas de traverser le Pacifique pour chercher fortune du côté des USA. Certains, peut-être plus entreprenants, plus intrépides, s’aventurèrent plus au Sud, du côté de la lointaine Nouvelle Zélande, « la Nouvelle Montagne d’Or » comme ils disaient, les yeux sans doute brillant d’espoir et de convoitise. Alise Wong est née, en 1960, dans cette ancienne colonie britannique. A Wellington très exactement qui est aussi le cadre de ce premier roman, inspiré de faits réels et, en partie, de l’histoire familiale de l’auteure et par ailleurs poète. Un livre écrit dans une langue classique, souvent poétique où les citations et les références culturelles (chinoises mais aussi anglo-saxonnes) foisonnent avec intelligence et bonheur.

    Katherine McKechnie achète ses légumes à l’épicerie chinoise des Frères Wong Chung. L’incongruité n’est pas du goût du prédicateur raciste Lionel Terry dont s’est accoquiné son imbécile de mari, Donald, et même son fils, Robbie, faible et influençable. Les temps sont rudes pour les Chinois de Wellington : les gamins les poursuivent dans les rues et il faut mieux pour eux ne pas s’aventurer hors de Haining Street. Le quartier chinois nourrit tous les fantasmes. Le racisme est ordinaire, la haine de l’autre une doxa, la paranoïa du Blanc, propret et bon chrétien, voit dans l’étranger ou l’autochtone pur sucre - le Maori - mais aussi dans « ceux qui adultèrent la race », les responsables de tous les malheurs… On connaît la chanson. Tout cela peut conduire au meurtre, le meurtre d’un Chinois, revendiqué justement par Terry. Le tribun halluciné ne se privera pas de faire de son procès une tribune pour vendre ses salades et justifier son crime en excluant la victime et les siens de la communauté des hommes. Il faut bien un alibi même aux pires salauds.

    C’est sur fond de ce tableau qu’Alison Wong raconte la vie de ces premiers Chinois expatriés en Nouvelle-Zélande. « Ils étaient venus ici pour pouvoir envoyer de l’argent chez eux. Retourner au pays en hommes riches ; la richesse cependant, leur échappait toujours. » Ces  quelques trois cents immigrés (dont peut-être à peine une quinzaine de femmes) formaient, en ces temps lointains, une communauté relativement et nécessairement unie, tiraillée entre l’hier et le demain, entre le pays laissé et celui qu’ils inventent, plus avec leur pied qu’avec leur tête, entre Orient et occidentalisation. Comme disaient les anciens, « vous faites un pas, deux, vous ouvrez les yeux, et vous avez effectué un voyage d’un millier de miles. »

    La mort accidentelle de Donald sera pour Katherine une libération. A l’épicerie, Yung, le jeune frère, réserve à la jeune femme les meilleurs fruits et agrémente ses achats de quelques offrandes. Katherine l’appelle par son nom. « Mr Wong, elle dit, comme si j’étais un homme, pas un Chinois ». Les attentions et les regards échangés se feront plus appuyés. Après les timides frôlements viendra la rencontre nocturne près du Bassin. L’amour transformera Katherine qui finira enfin par se « sentir comme un peuplier aux feuilles orangées qui bruissent dans le ciel d’un bleu éblouissant »

    Ce roman sur le racisme anti-Chinois, en pays maori et à la sauce anglaise, est aussi un roman pour le droit des femmes à vivre libre. Avec Margaret Newman, son employeur, et Edie, sa fille, Katherine porte cette exigence d’émancipation. En Chine, le mouvement de modernisation de Sun Yat-Sen suscite aussi l’espoir de voir les portes de l’instruction s’ouvrir aux femmes.

    Un double processus de libération est à l’œuvre, chez la femme et chez l’immigré. Tous deux se confrontent au joug de leurs sociétés respectives et des convenances. L’un s’émancipe des origines, du pays laissé, l’autre du deuil et de la domination masculine.

    « Elle retira la peau, tint l’oignon nu dans sa main. Un bref instant elle vit un globe tronqué, sans continents ni mers, un monde qui avait perdu sa forme. Ainsi que toutes ses frontières » écrit Alison Wong… Laissera t-on le temps à ces « amants papillons » de prendre leur envol ?

    Traduit de l'anglais par Michelle Herpe-Voslinsky. Edition Liana Levi, 2009, 336 pages, 20€