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Littératures méditerranéennes et horizons migratoires. Une anthologie

Salim Jay

Littératures méditerranéennes et horizons migratoires. Une anthologie

20325769.jpg« Un migrant qui ne reste qu’un immigré, est un migrant raté » écrit l’Algérien Mohamed Dib. Pour son compatriote Waciny Laredj, « la sensibilité de l’étranger s’exacerbe lorsqu’il a perdu sa patrie et ses proches ». Et il faudrait voir à ne pas gaspiller son existence : « Pour avoir tant gâché ta vie sur ce petit coin de terre, tu l’a ruinée dans l’univers entier » prévient le poète grec Constantin Cavafy. Que dire aussi de ce texte écrit par le Libanais Faris Chidyaq en 1855 : « Comment peux-tu accepter de ne pas te rendre dans la patrie d’une langue étrangère, dans le foyer d’une pensée différente de la tienne ? Le béret de l’étranger abrite peut-être des pensées et des réflexions qui n’ont jamais effleuré le dessous de ton nez : il se peut qu’elles te fassent méditer, qu’elles suscitent en toi l’envie de connaître le cerveau qui les abrite » ? Enfin, sur un autre registre, histoire sans doute de corriger quelques strabisme historico-culturel et d’être plus attentif aux mouvements de la vie qui de l’autre côté de la Méditerranée agitent aussi les sociétés et les hommes : « On ne peut indéfiniment vivre sur une culture du passé transformée en folklorité pour touriste […] et se dire qu’on a la culture. Oui, il faut sauver ce patrimoine. Mais il faut également aider la jeunesse qui s’exprime à mieux parfaire ses armes intellectuelles, à poser les bases d’une culture actuelle (…) » dixit le Marocain Mohammed Khaïr-Eddine.

 

Ce ne sont pas les citations qui manquent ici. Dans ce lourd volume, pas moins de soixante textes et autant d’écrivains forment une sarabande bigarrée, poétique et instructive, tantôt joyeuse, tantôt plus sombre des littératures méditerranéennes (re)visitées à l’aune des horizons migratoires. Un tour Med sur un « bateau livre » avec en cabine de pilotage un lecteur infatigable, averti et passionné qui n’hésite pas à jeter l’encre dans tous les ports du pourtour de Mare Nostrum – Israël excepté mais avec escale chez Jacques Hassoun ou Gil Ben Aych et avec un détour du côté du Portugal (José Saramago) et même en Irak (Saadi Youssef).

Les textes ici colligés virevoltent autour d’un axe qui a pour nom l’exil, les migrations, la découverte de l’Autre et du monde mais aussi la nostalgie, la perte, l’absence, l’exploitation ou le mépris, les bifurcations sans retour, les regrets et les silences. Cette pérégrination dans l’univers des migrations, bivouaque un temps du côté des nationalismes sourcilleux et acariâtres qui, au lendemain des indépendances, eurent vite fait de réduire au silence ou de rejeter celles et ceux dont la seule présence rappelait que l’histoire de ces sociétés commençait bien avant le VIIe siècle et ne s’arrêtait pas une fois la liberté recouvrée sur d’autres envahisseurs. Où se situent alors l’absence et le manque ?

Une anthologie est une offrande, une invite de l’auteur à le suivre et découvrir quelques sentes magiques, se grandir par l’ascension de fraternels sommets,  s’éblouir aux reflets multicolores de pépites étincelantes. Tout y est ici ; rares sont les textes sélectionnés qui ne méritent pas le détour et moins encore leur auteur. Salim Jay introduit chacun des extraits par quelques lignes utiles et plaisantes. Chaque extrait est précédé d’une petite note de présentation et d’ambiance, tantôt brève, tantôt plus longue, Salim Jay, alors plus loquace, se montre inspiré, conquis, habité comme pour Georges Henain ou Rabah Belamri. La notice, toujours, se révèle précise, informée, un brin anecdotique, aux mots méticuleusement choisis et aux images amicales. Faris Chidyaq (1855) ouvre le bal et François Cavanna (2011) le referme. Entre, défilent des Grecs (Cavafy, Tsirkas, Alexakis…), des Algériens (Boudjedra, Yacine, Djemaï, Lakhous…), des Espagnols (Chirbes, Goytisolo, Vasquez, Fajardo…), des Egyptiens (Cossery, Hussein, Ibrahim), des Turcs et autres Italiens, sans oublier quelques plumes nationales : de Clavel à Delphine Coulin en passant par Marie N’Diay, Ahmed Kalouaz, Robert Solé ou Hélène Cixous.

Journaliste, spécialiste des littératures de la migration, des littératures arabes et maghrébines, Salim Jay est aussi écrivain. Depuis 1979, ce franco-marocain à cheval entre république laïque et royaume alaouite a écrit pas moins de 24 ouvrages comprenant romans, essais littéraires et autres anthologies - on fera grâce ici de ses nombreux articles donnés dans la presse française et marocaine. Il est notamment l’auteur de Embourgeoisement immédiat et de Victoire partagée (La Différence, 2006 et 2008).

En introduction, le critique littéraire, observateur et lecteur qui sait de quoi il en retourne écrit : « Émigrer, c’est d’abord, souvent, être regardé, évité, se cacher des autres ou bien être accueillis par eux, à moins qu’ignoré voire conspué. C’est trop souvent de nos jours avoir traversé l’enfer pour aboutir en centre de rétention : mais émigrer, c’est aussi et plus souvent qu’on ne veut désormais l’entendre dire, être apprécier de ceux parmi lesquels on vit et les apprécier, tout en participant à la vie matérielle et intellectuelle du pays natal, plus efficacement que beaucoup ne l’imaginent. »

C’est à ce voyage  - les heurs et malheurs de l’exil - qu’invitent les textes ici colligés, ce voyage où le pérégrin vient ouvrir l’horizon du sédentaire, où, dans le dialogue de l’universel et du particulier, il retrouve aussi l’écho, à peine déformé, de lui-même, ailleurs et chez l’autre. « L’exil nous fait moins étranger au monde » écrit Mohamed Dib et comme le monde est de moins en moins étranger à chacun, parfois avec inconvenance, il est préférable d’embarquer avec Salim Jay.

 

Édition Séguier, 2011, 386 pages, 22€

 

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