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  • La Vie après

    Claire Messud
    La Vie après


    messud.jpegImaginez. Vous êtes un étudiant fraîchement débarqué aux Etats-unis. Votre physique, votre nom tout en vous rappelle vos origines lointaines. Méditerranée, Afrique du Nord, Algérie... Pourquoi cette fille au prénom peu commun, Sagesse, s’intéresse t-elle à vous ? Toute rencontre renferme sa part mystérieuse, souterraine. Claire Messud, dans son roman La Vie après, offre, à travers une minutieuse introspection familiale, quelques clefs pour suivre Sagesse dans sa quête de liberté, d’émancipation, de paix avec soi même et avec les autres. Pour un observateur, cette attirance de Sagesse pour cet étudiant étranger ne révèle rien. Pas plus d’ailleurs que la présence chez elle d’une reproduction de la baie d’Alger d’avant la guerre. Son sens caché, sa signification possible, n’est accessible qu’à Sagesse... et au lecteur de La Vie après.

    Au commencement du livre Sagesse a quatorze ans. Sa mère est américaine, son père, Alexandre, est un pied-noir. Il travaille dans le luxueux hôtel construit sur la Riviera par son propre père qui, en chef de famille rigide et étouffant, omnipotent, veille au grain et à la destinée des siens. Alexandre, malgré ses velléités, ne parviendra jamais à prendre la direction de l’affaire. Les grands parents de Sagesse n’ont jamais accepté cette Américaine mariée à leur fils. Le couple d’ailleurs bat de l’aile. Le terrible handicap de leur second enfant, Etienne, n’est pas pour rien dans le semblant de vie commune qu’ils s’imposent.
    Le livre commence comme un récit d’adolescence : rupture et contestation des aînés, amitié, éveil aux premiers émois amoureux... Jusqu’au soir où une détonation éparpille les adolescents qui batifolaient gaiement et bruyamment autour de la piscine de l’hôtel, blessant légèrement une des filles du groupe.
    Tout bascule alors. Non seulement la vie du clan mais aussi celle de Sagesse. Gardiennes de la mémoire familiale, la mère et la grand-mère ouvriront à Sagesse la porte de l’invisible et des non-dits. La lourde porte des secrets, des souffrances d’autant plus douloureuses que l’on s’est évertué à les taire, à les recouvrir d’un voile de silence et de mensonge. À faire « comme si » !
    Comment démêler, dans l’entrelacs des racines qui fondent une histoire familiale, celles qui portent le devenir ? Sont-ce les fréquents adultères qui ici n’épargnent aucune génération ? Les branches familiales reléguées dans l’oubli ou coupées ? Ne serait-ce pas plutôt l’autoritaire et criminelle indifférence du père pour son fils ? Ou bien encore faut-il voir dans chaque humaine condition le jouet de l’Histoire : ici, la présence française en Algérie et sa fin misérable. Pour la famille La Basse, cette inscription dans un destin collectif commence dès la première moitié du dix-neuvième siècle et se détermine en 1962. Alexandre, alors âgé de dix-sept ans, est le dernier de la famille à fuir Alger. Lesté du cercueil où repose sa grand-mère, il tente, harassé par le poids et la peine, de se frayer un chemin dans la foule des malheureux rassemblés sur le port qui cherchent eux aussi à embarquer pour la métropole.

    « Tout cela, que ce soit instant, heure ou jour, nous le portons en nous, quelque part... » écrit Sagesse lestée d’un autre et terrible drame.
    Claire Messud décrit avec minutie et précision l’histoire d’une famille, cet avant d’une vie qui détermine tellement l’après de chaque existence.
    Interrogation psychologique, effort de mémoire, questionnement identitaire, reconstitution d’un puzzle dont on voudrait s’extraire, dissection d’une réalité dont on s’efforce de déchirer le voile étouffant de l’apparence, ce deuxième et dense roman, d’une américaine aux origines franco-canadiennes, née en 1966, malgré des longueurs certaines, est riche d’émotions et dit le lot commun : vivre dans l’ombre de fantômes et sous le poids de lourds héritages.

    Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Guillemette Belleteste, édition Gallimard, 2001, 515 pages, 24,39 euros