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  • Abd el-Kader

    Kebir M.Ammi

    Abd el-Kader

     

    abdelkader_1855-9f904.jpgL’émir Abd el-Kader ! En voilà une belle figure d’exilé ! Droit, digne, sans rancune ni aigreur pour ses ennemis d’hier. Ces Français qu’il a combattus pendant quinze ans parce qu’ils voulaient lui prendre sa terre, son pays, son honneur. Ces Français qui ensuite, et pendant cinq ans, l’ont retenu prisonnier à Toulon, Pau puis Amboise, trahissant leur propre parole quand, en échange de sa reddition, ils lui avaient promis de l’exiler sur une terre musulmane. Non ! Abd el-Kader  n’en veut pas à la France, à ses généraux, au duc d’Aumale pour les atrocités commises et les dévastations qu’ils ont fait subir aux siens et à ses frères musulmans, durant cette terrible conquête. Abd el-Kader  n’est pas simplement un guerrier. C’est un homme de foi et de paix qui place l’Homme au centre de sa pensée et de sa croyance.

    Juillet 1860, il est en exil à Damas depuis quatre ans. Des émeutes éclatent. Un pogrom se prépare contre les chrétiens de la ville. Aidé de la communauté algérienne exilée dans l’ancienne capitale umayyade, il sauvera des dizaines de milliers de chrétiens, à commencer par le consul de France qui hésite d’abord à suivre l’ennemi d’hier. Au prix de sa vie, il refusera de suivre les émeutiers dans leur folie meurtrière, ceux qui hier l’accueillirent pourtant avec tant de chaleur et de générosité. Mais Abd el-Kader ne transige ni avec la justice ni avec l’enseignement de l’islam.

    Kebir Ammi ouvre et referme son dernier livre par cet épisode extraordinaire et unique. Il y a quelques années, Anouar Benmalek consacrait, dans L’Enfant du peuple ancien, quelques pages au courage de l’émir. Cela n’est pas anodin. Ces deux écrivains, l’un Algérien né à Casablanca, l’autre Marocain d’origine algérienne, pétris d’humanisme, mesurent plus que quiconque, la symbolique du geste et la grandeur de l’exilé. Une grandeur qui dépasse la réduction nationaliste dans laquelle le confine l’Algérie officielle.

    Bien sûr, Kebir Ammi n’est pas historien. Mais romancier et poète. Il n’apporte aucun élément historique nouveau aux dernières sommes parues ces dernières années (1), mais son évocation, nourrie aux meilleures sources, dégage un souffle revigorant et une force salutaire. Après les figures de Saint Augustin et du mystique Hallaj, Kebir Ammi livre ici le portrait d’un homme qui cherche à rassembler les hommes plutôt qu’à les morceler en entités et appartenances hostiles. En ces heures où la globalisation peut devenir uniformisation, où les identités d’exclusion et de fermeture se réveillent, où les croyances et les religions sont instrumentalisées, Abd el-Kader prône lui « la pluralité des mondes » et voit en tout être humain, croyant ou incroyant, un frère. « Tout être est mon être » écrit cet homme qui n’avait nullement vocation à devenir un chef militaire. Nourri de l’enseignement paternel, de ses lectures du Coran, mais aussi de la Thora et de la Bible, héritier du message d’Ibn Arabi et de la pensée de Razi, versé dans l’étude des grecs anciens, à commencer par Aristote, Abd el-Kader est un homme de méditation, d’études et de lectures. Les livres seront pour lui comme « des frères d’exil ». Mais il ne sera jamais un penseur enfermé dans sa tour d’ivoire. Il sera toujours proche des siens, toujours exemplaire, prodiguant son enseignement jusque dans l’enceinte de la Grande Mosquée de Damas où ses prêches, nourris du Coran et des hadiths, n’hésitaient pas non plus à se référer à d’autres religions et d’autres pensées. Le religieux, le sage, l’homme sont indissociables chez Abd el-Kader qui toujours a répété à ses semblables cette parole coranique : « nul contrainte en religion » et professé « l’insécable humanité », l’égalité des hommes sans distinction aucune. 

    Kebir Ammi livre ici une longue suite poétique dédiée à l’Algérie - le pays de son père - à la mémoire de cette terre meurtrie par les armées de la conquête coloniale, à l’exil, à l’islam, simple et fraternel, d’Abd el-Kader. Ce livre est aussi le credo réaffirmé de l’auteur devant le désordre et le bruit des temps. Parodiant l’ancienne et célèbre adresse au camarade Lénine, Kebir Ammi semble crier : « Abd el-Kader, réveilles-toi, ils sont devenus fous ! ». À l’action et à la pensée d’Abd el-Kader il fait résonner, comme en échos d’universalisme et de modernité, des citations d’Hannah Arendt, de Derrida, de Martin Bubber, d’Hubert Grenier, de Nietzsche, de Shakespeare ou de Pascal.

     

    (1) Smaïl Aouli, Ramdane Redjala, Philippe Zoummeroff, Abd el-Kader, Fayard, 1994 et Bruno Etienne, Abd el-Kader, Hachette, 1994.

      

    Ed. Presse de la Renaissance 186 pages, 16 euros