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  • La Prairie parfumée où s'ébattent les plaisirs

    Mouhammad al-Nafzâwî

    La Prairie parfumée où s'ébattent les plaisirs

     

    el nafzaoui.gifIl n'est pas fréquent de commencer la recension d'un livre en saluant le travail du traducteur. Mais enfin il est juste de rendre hommage à René R. Khawam infatigable traducteur d'une quarantaine d'ouvrages appartenant à la littérature arabe, classique en particulier. Celui à qui l'on doit notamment une traduction des Mille et une nuits (chez le même éditeur et du Coran (chez Maisonneuve Larose) est mort en mars 2004. Dans cette édition de poche de La Prairie parfumée, le lecteur retrouvera son esprit d'ouverture et de tolérance, sa liberté de ton et ce respect scrupuleux de textes libres de toute censure. Sans fausse pudeur et sans céder à la bigoterie du temps, René R. Khawam a offert au public occidental l'accès aux plus belles pages de la littérature arabe. Et, pour en venir à cette Prairie parfumée qui est en fait, un plaisant petit traité d'érotologie du XVe siècle, le traducteur prévient dans son introduction qu'il ne s'agit point là de "dévergondage" et qu'il est grand temps et ce pour une "question de justice" de réhabiliter ces écrits. Selon lui cette "réhabilitation [est] aussi nécessaire que celle d'autres œuvres injustement négligées dans le domaine de la philosophie ou de la pensée politique, et ce ne sera pas la mauvaise humeur ou la colère des érudits qui pourront nous arrêter dans cette entreprise". Voilà qui était dit !

    Cette claire et cinglante apostrophe - qui date de 1976 et alors destinée aux seuls érudits - conserve pertinence et souffle face à la montée des prêchi-prêcha des tartufes et autres talibans de banlieue qui, trop souvent, ignorent tout d'une civilisation et d'une religion qu'ils croient pourtant pouvoir enfermer dans les rets de leur ressentiment. D'ailleurs et fort civilement al-Nafzâwî prévient ses coreligionnaires : "une longue barbe est le symbole de la faiblesse de l'esprit ; elle ne s'allonge pas sans que l'on constate de plus en plus de décombres au niveau de l'intelligence". Quid du voile-uniforme a-t-on envie d'interroger ?

    Reconnaissons que Mouhammad al-Nafzâwî peut déranger quelque unes de ces bonnes âmes quand, dès sa préface, il écrit : "louanges à Dieu, qui a fait que le grand plaisir pour l'homme réside dans l'huis de la femme, et que le grand plaisir de la femme réside dans l'instrument de l'homme (…)" Ainsi Dieu n'interdit nullement le plaisir. Ce qui en islam n'est point nouveau malgré cette représentation mortifère qui court à travers le monde et les esprits. Mais de plus ce droit au plaisir s'applique aussi bien à l'homme qu'à la femme. Ce qui pourrait bien être nouveau, non seulement en terre mahométane mais aussi ailleurs... Partant, l'auteur, si loin par le temps et si proche par sa modernité, prodigue moult enseignements sur l'art de l'amour ou de "la conjonction", élevant même cet art au rang de science qui, "par Dieu, répond à une nécessité" et que tout un chacun se doit de "connaître".

    Comme le souligne René R. Khawam, al-Nafzâwî tourne le dos à la pornographie. Il invite son lecteur à entrer dans un espace aéré, parfumé, doux et tendre, où le verbe, prose ou poésie, est foisonnant et évocateur. L'harmonie n'accorde pas seulement les corps et les esprits, elle s'entend aussi dans sa dimension sociale et religieuse. Cette science de la conjonction exige d'abord de bien distinguer ceux qui parmi les hommes et les femmes "sont dignes d'éloges" de ceux qu'il convient de blâmer. Alors, et alors seulement il est permis d'aller plus avant dans la lecture du livre (comme dans la vie…) pour suivre l'auteur et ses mille et un conseils pratiques, règles d'hygiènes et médicales, observances alimentaires, fortifiants et autres aphrodisiaques, méthodes contraceptives et même abortives, mises en garde…jusqu'à y compris son interprétation des songes (Freud parlait lui des rêves).

    Et si quelques opinions émises ici choquent le lecteur occidental de ce début de siècle (voir cette suspicion qui toujours plane sur la gent féminine) qu'il se reporte à cet autre utile conseil : "la connaissance d'une chose est meilleure que sa non-connaissance, (…) tout savoir peut étayer la méchanceté, l'ignorance fortifiant celle-ci davantage que le savoir". À n'en pas douter Mouhammad al-Nafzâwî  y serait revenu de bonne grâce.

     

    Edition non expurgée établie par René R. Khawam, éd. Phébus (libretto), 2003, 188 pages, 7,50 euros.